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Un an de Gilets Jaunes

par | Nov 24, 2019

Après un an de mobilisation au sein du mouvement des Gilets Jaunes, le Petit Chose est monté à Paris pour fêter le premier anniversaire du mouvement, et s’est retrouvé au cœur des émeutes de la Place d’Italie.

Il y a un an, le 17 novembre 2018, je marchais dans la grisaille et le froid en direction du péage Nîmes-Ouest sans trop savoir à quoi m’attendre. Intrigué par l’appel de quelques citoyens anonymes et en colère sur internet, je voulais voir ces gens à qui on a demandé d’enfiler un gilet jaune en signe d’unité et de protestation contre le pompage intensif du portefeuille des Français. Je croise très vite quelques copains qui ont improvisé un filtrage sur un boulevard, alors que d’autres personnes bloquent le périph. Au péage, des feux de joie et de pneus réchauffent cet après-midi d’automne, pendant que les manifestants filtrent la sortie de l’autoroute. Beaucoup d’automobilistes comprennent l’action, certains font même preuve d’enthousiasme malgré l’attente, d’autres font au contraire preuve d’impatience et de virulence. A la nuit tombée, les manifestants tentent une intrusion sur l’autoroute, vite stoppée par les forces de l’ordre. Le face-à-face avec la police commence, quelques projectiles éparses répondent à la pluie de lacrymogène. Certains, qui pour beaucoup n’ont jamais manifesté et encore moins eu affaire à une compagnie de CRS, sont médusés en découvrant le vrai visage de la police. Et ce n’est que le début… Le soir, on constate que la journée s’est déroulée de la même manière partout en France. Le lendemain, les ronds-points sont toujours occupés. Le surlendemain aussi. Les Gilets Jaunes sont nés.

 

 

Rond-point la semaine, manif le samedi

D’abord sceptique à l’égard de cette mobilisation et de la raison qui a mis ces gens dans la rue, à savoir une simple question de prix du carburant, le mouvement allait évoluer et devenir cet élan de contestation que j’attendais tant. L’Histoire nous enseigne que ce sont souvent des petites causes qui entraînent les grandes révolutions. Plus la colère dure, plus les gens se parlent. Enfermés dans leur prison sans mur d’un système qui les réduit à l’état de travailleurs-consommateurs, les citoyens sont trop occupés à organiser leur survie pour prendre le temps de réfléchir. Mais quand le peuple se parle, il comprend.

Il comprend qu’il est l’esclave d’un système qui prend de plus en plus le contrôle sur son existence. Il comprend qu’une oligarchie a fait main basse sur le pays. Que les pouvoirs politiques, économiques et médiatiques travaillent conjointement pour s’approprier le pouvoir, détruire méticuleusement les services publics et les acquis sociaux, et satisfaire leurs intérêts de caste. Il comprend que nos élus, censés nous représenter et nous servir, sont devenus nos maîtres et nous asservissent. Il comprend que, pendant qu’il est saigné par l’impôt, les plus grandes fortunes y échappent. Il comprend que les états et les multinationales, engoncées dans leur logique de profits, sont les principaux destructeurs de la planète, et qu’il ne la sauvera pas avec sa poubelle verte. Et surtout, il comprend que Macron est l’incarnation parfaite de ce système. Plus que des lieux de blocage, les ronds-points sont de véritables assemblées où l’on fait l’expérience de la fraternité et de la politique. Leur plus grande vertu est de faire naître les consciences.

Ronds-points la semaine, manif le samedi, la France est rapidement au bord de l’insurrection. L’élite, qui habituellement contrôle les appareils officiels de la contestation et les adeptes des manifestations encadrées, ne parvient pas à saisir ce mouvement inédit, sans logique partisane et sans leader, qui se réapproprie l’espace public et la parole politique. Alors que Paris explose, je participe quant à moi aux marches du week-end à Nîmes, appareil photo à la main pour immortaliser ces moments historiques. Très vite, j’entends parler de Référendum d’Initiative Citoyenne, d’Assemblée Constituante, de justice fiscale, et ça me rend heureux. Et quelle réponse apporte le gouvernement à cet élan de démocratie ? La répression. Alors que les Gilets Jaunes exigent que l’on redonne le pouvoir au peuple et la dignité aux citoyens, ils ne reçoivent que les tirs de flashball de la police et le mépris des gouvernants.

Les samedis passent, le pacifisme s’estompe et le nombre de mutilés et d’arrestations arbitraires augmentent. Je me souviendrai toute ma vie de ce samedi 12 janvier, jour où ma ville d’ordinaire si tranquille s’est transformée en véritable champ de bataille, où j’ai vu la police s’acharner au hasard et des manifestants aux cheveux gris avec le visage en sang. Je remercie d’ailleurs ce panneau de signalisation qui me permet d’avoir encore mes deux yeux aujourd’hui. La France a beau reconnaître le droit de manifester comme une liberté fondamentale, nous vivons dans un pays où la police tire sur son peuple avec la complaisance des gouvernants. L’histoire se chargera de les juger.

 

 

A force de répression policière et de propagande médiatique, le gouvernement finit par réussir son tour de force : décrédibiliser les Gilets Jaunes dans l’opinion et faire s’essouffler un mouvement qui ne rassemble aujourd’hui qu’une poignée d’irréductibles. Pourtant, rien n’a changé. Le nombre de pauvres augmentent, les plus riches se gavent toujours autant, et le petit prince de l’Elysée continue son travail de sape tout en maintenant l’illusion démocratique en organisant un « grand débat » que nous aurions dû intituler « le grand monologue ».

L’anniversaire des Gilets Jaunes à Paris

Ce samedi 16 novembre 2019, les derniers survivants ont toutefois voulu fêter leur premier anniversaire avec un retour aux ronds-points en Province et un grand rassemblement dans la capitale. Pour moi, c’était l’occasion d’effacer mon plus gros regret depuis le début du mouvement : ne pas être monté à Paris. Me voici donc sur la Place d’Italie en ce samedi matin, et ça sent déjà la poudre. Quatre heures avant le départ de la manifestation déclarée, des Gilets Jaunes et des hommes en noir sont déjà là et ils sont surmotivés. Dès 11h, un cortège sauvage s’improvise dans les rues adjacentes. Les premiers gaz lacrymogènes sont tirés et les premières barricades dressées. La journée s’annonce longue. De retour sur la place, le rassemblement mute très vite en guerilla urbaine. Alors que nous attendons l’heure de la marche, les forces de l’ordre bouclent les issues de la place et la Préfecture annule la manifestation. Nous sommes pris au piège, c’est un véritable guet-apens organisé par les autorités. L’affrontement entre la police et les manifestants démarre et durera plus de trois heures. Les hommes en noir et les Gilets Jaunes les plus déterminés font face aux CRS au péril de leur vie. Pavés, bouteilles et pétards d’un côté, gaz lacrymogène et grenades explosives de l’autre, les projectiles pleuvent sans discontinuer. La place est noyée dans la fumée, les yeux pleurent, les oreilles sifflent. Des véhicules brûlent, une banque et un Macdo sont saccagés, la chaussée est détroussée de ses pavés. Certains sont interpellés, d’autres éborgnés. C’est la guerre civile. J’ai déjà vu ces scènes aux infos, dans des films ou dans des livres d’histoire, c’est impressionnant d’y assister en chair et en os. Par hasard, nous tombons sur un SAS discret qui permet à ceux qui le souhaitent de s’extraire de la place et ainsi d’éviter la rafle qui s’annonce. Mais ça pète aussi ailleurs. Pas une rue sans une poubelle en flamme ou des restes de barricades qui jonchent le sol. Des affrontements se produisent ça et là, et de la fumée noire colore le ciel de Paris. Alors que les Gilets Jaunes et la police continuent à jouer au chat et à la souris dans les rues de la capitale à la nuit tombée, il est temps pour moi de sauter dans mon train avec le sentiment d’avoir vu l’histoire s’écrire sous mes yeux.

 

 

Je ne sais pas si le mouvement perdurera, ou si cette résurgence sonnait comme un dernier baroud d’honneur. Ce qui est certain, c’est que les Gilets Jaunes auront été quelque chose de beau même si, comme dans toute insurrection, tout n’aura pas été rose et parfait. Ils auront eu le mérite de démasquer un système à bout de souffle qui ne tient plus que par sa police aux ordres. Ils auront marqué les esprits, éveillé des consciences et infusé quelque chose de nouveau dans ce pays. La vie de centaines de milliers de personnes, de millions peut-être, ne sera plus jamais la même. Et le combat, d’une manière ou d’une autre, ressurgira. Rien ne peut arrêter le vent de l’histoire, et rien n’est plus beau qu’un peuple qui reprend son destin en main.