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Cuba, récit de voyage | La Havane (Partie 1)

par | Jan 30, 2020

Plus d’un mois après son retour de Cuba, le Petit Chose entreprend enfin l’écriture de son récit de voyage. Première étape du périple : La Havane.

Le 9 décembre, ma petite chose et moi quittons une France en proie aux grèves et à la colère. C’est d’ailleurs en bus plutôt qu’en train que nous rallions l’aéroport de Roissy. Douze heures de route au lieu de trois heures de rail, un bon moyen de s’apercevoir à quel point le pays est bloqué. S’ajoutait à cela une dizaine d’heures d’avion pour atteindre la mythique capitale de Cuba : La Havane.

Quand on entreprend un voyage à Cuba, on ne sait pas trop à quoi s’attendre. Depuis l’enfance, le brave citoyen occidental est soumis à une multitude de clichés et de mythes à propos de cette île coupée du monde. Histoire foisonnante, régime autoritaire, isolement, figures tutélaires et mystiques de Fidel Castro et Che Guevara, générosité du peuple cubain, voitures américaines, la musique, le rhum, le cigare… Un bouillonnement qui m’obsédait depuis de longues années. Ma petite chose l’ayant senti, mon cadeau pour mes trente ans était tout trouvé.

Arrivée à La Havane

L’avion atterrit vers 19h dans la capitale cubaine. Entre fatigue et excitation, nous passons la douane sans encombre, récupérons nos valises intactes et changeons nos euros en CUC. Il faut savoir que deux monnaies circulent à Cuba : le Peso cubain pour les locaux (1 CUP = 0,03€) et le Peso convertible pour les touristes (1 CUC = 0,80€). Après un échange compliqué avec une machine défectueuse, un rabatteur nous conduit vers le taxi d’un jeune homme aux faux airs de Cristiano Ronaldo. Le véhicule, bardé de bibelots et d’autocollants à l’effigie du Che, est certainement plus âgé que ses trois occupants réunis. Il fait déjà nuit sur l’île. Il y a tout juste assez de lumière pour deviner la cime des palmiers royaux, l’arbre sacré de Cuba. Alors que les premières habitations de la capitale se dessinent, nous remarquons l’absence de publicité au bord des routes. A Cuba, les seuls panneaux qui bordent la chaussée sont à la gloire de la Révolution Castriste et de ses figures emblématiques. Sur le chemin, nous avons la surprise de longer la Place de la Révolution, gigantesque esplanade pouvant accueillir un million de personnes, théâtre de tous les moments marquants de l’histoire récente du pays. Elle est dominée par l’imposant mémorial José Martí d’un côté et des immenses portraits lumineux de Che Guevara et Camilo Cienfuegos de l’autre.

Ne trouvant pas l’adresse précise de notre logement, le taxi nous abandonne au beau milieu d’un Centro Habana plongé dans l’obscurité. Voilà que deux touristes français traînant leur grosse valise à roulettes dans leur sillage se retrouve dans le quartier le plus populaire de la Capitale en pleine nuit. Une vieille gestionnaire de Casa, assise sur son perron en attendant le chaland, nous indique la direction de notre logis tout en nous proposant de passer la nuit chez elle. Nous déclinons l’invitation, et reprenons nos recherches dans les rues lugubres. Cette fois, nous sommes abordés par Mario, un grand afro-latino au foulard noué sur le crâne tout droit sorti de GTA. Pas rassurant au premier coup d’œil, Mario nous souhaite en fait la bienvenue à Cuba et nous confirme la bonne direction. Après quelques minutes de tâtonnement, nous voici enfin devant la Casa Martín, notre logement.

A Cuba, il y a deux types d’hébergements : les hôtels gouvernementaux et les Casas Particulares. En effet, le gouvernement socialiste autorise les Cubains à accueillir des touristes chez eux, moyennant, bien entendu, de fortes taxes. En plus d’une chambre privative, les casas proposent des repas copieux pour pas un sou, et aident les touristes à organiser leur séjour sur place, leurs excursions, et même leur départ pour la prochaine étape.

Nous faisons ainsi la connaissance de Maïté, notre hôte. Dans un français quasi-impeccable, elle nous souhaite la bienvenue et nous conduit à notre chambre, de l’autre côté de la rue. Nous pénétrons dans une toute petite pièce sans fenêtre, rustique mais colorée et propre. Notre hôte nous convie à sa table pour le repas du soir, l’occasion de faire connaissance. Elle nous confirme que nous avons choisi le meilleur coin de la capitale comme lieu de résidence, Centro Habana étant le quartier le moins touristique et le plus authentique.

La Havane, capitale aux mille couleurs

Après une première nuit agréable, malgré les chants du coq à 2h du matin, et un petit déjeuner de nabab chez Maïté, il est temps de commencer notre découverte de La Havane. Dès nos premiers pas, un véritable souffle de vie nous prend aux tripes. La rue est en ébullition. Ça grouille de monde, il y a du bruit, des voitures américaines dans tous les sens, des vélos-taxis qui slaloment. Notre logement est situé à proximité du marché San Rafael, un endroit sombre et chaotique qui semble être le centre névralgique du coin. Le quartier est un immense quadrillage de petites rues insalubres bordées par des habitations plus ou moins délabrées. En jetant un regard dans les demeures, on s’aperçoit que certains ne disposent que de quatre murs, d’un toit et d’un matelas. En permanence, des gens sortent de chez eux, s’arrêtent parfois sur la chaussée, se parlent, rentrent dans la maison d’en face. Les habitations ne sont que le prolongement de la rue, véritable lieu de vie des habitants du quartier. Certains passent leur journée sur leur perron à rêvasser ou à vendre des produits : nos voisins vendent des œufs, des poussins et des poules, celui d’à côté des oignons, pendant qu’un marchand ambulant distribue de l’eau minérale à la criée. Centro Habana, c’est le travail, la débrouille, la vie en communauté, l’anarchie au sens noble du thème.

En remontant la calle San Rafael, nous atteignons Habana Vieja, le centre historique et touristique de la capitale. Une seule avenue séparent les deux quartiers, mais on a l’impression de changer de ville tant les rues sont épurées, les bâtiments restaurés et l’atmosphère plus ordonnée. Par contre, qui dit tourisme dit accostage par les jineteros, des arnaqueurs. Ils sont incessants et, il faut bien l’avouer, un peu agaçant. Les hommes et les femmes qui s’y emploient ont tous plus ou moins la même technique : ça commence par la question « De que país ? » suivi d’un « bienvenue », et éventuellement d’un « champion du monde ». Généralement, ils ont un membre de la famille qui porte le même prénom que nous ou qui vit pas loin de chez nous en France. Ensuite, ils donnent des conseils, des lieux à visiter, des tuyaux. Et enfin, ils terminent en proposant de nous conduire vers un lieu où faire de bonnes affaires, un endroit où boire un coup, prendre des cours de salsa ou acheter des cigares. Leur tour est tellement bien rodé que nous nous sommes laissés berner pour des cigares. Une jeune femme, avec qui nous discutons depuis un long moment et qui dit nous avoir vue devant notre casa en citant son nom, nous emmène vers ce qu’ils appellent « la coopérative des cigares », un endroit où l’on vend un jour par mois des cigares deux fois moins chers que dans les fabriques officielles. Nous la suivons « pour voir ». Pensant arriver dans une sorte de marché aux cigares, nous pénétrons dans un drôle d’immeuble, arpentons un couloir étroit, et atterrissons dans une pièce sombre où nous attendent deux grands blacks aux dents en or. Autant Mario était agréable, autant ces deux-là se montrent insistants et oppressants, nous cédons et achetons 25 cigares Cohiba pour 180 CUC. Nous comprenons très vite que ce ne sont pas d’authentiques Cohiba.

Nous avons à peine eu le temps de commencer notre visite que nous voici ruinés et contraints à attendre une heure au distributeur. On nous avait prévenu, les arnaques et les imprévus sont monnaies courantes à Cuba, ça fait partie du voyage. Nous faisons donc abstraction de la mésaventure et entamons enfin notre découverte des trésors de La Havane en prenant soin de couper court à toute nouvelle tentative des jineteros. Nous arpentons les rues et faisons de longues pauses devant les lieux emblématiques : l’imposant Capitole, réplique de celui de Washington, le magnifique Paseo del Prado bordé de ses colonnades, la Plaza Vieja encerclé par des bâtiments coloniaux aux mille couleurs, la Cathédrale, la Place d’Armes… Mais plus que les points touristiques, flâner dans les petites ruelles est ce qui est le plus appréciable.

Et puis vient la tombée du jour. Le soleil déclinant donne à La Havane ses plus belles couleurs. Le moment coïncide avec l’apparition de la musique dans les rues, dans les bars et sur les places. Les groupes de Son et de Rumba s’installent à tous les coins de rues pour entonner Guajira Guantánamera, Chan Chan, et autres musiques traditionnelles popularisés à travers le monde par le Buena Vista Social Club. Les Cubains et les touristes s’attablent dans les bistrots pour écouter cette musique si joviale en dégustant un mojito et en respirant les effluves des cigares dont la fumée embaume les ruelles et s’envole dans le ciel crépusculaire de La Havane. Un instant de grâce qui donne irrésistiblement le sourire.

Après ce moment suspendu, nous prenons le chemin de la Casa en passant par un autre lieu incontournable, surtout au coucher du soleil : le Malecón. Cette avenue à six voies, longue de 8 km, est prise en étau par l’océan qui s’écrase sur la digue et des immeubles décrépis. Emprunté par les voitures américaines des années 50 et point de rendez-vous de la jeunesse cubaine en fin de journée, le Malecón est la carte postale de Cuba. L’air y est vivifiant et l’ambiance apaisée. Le spectacle féerique du soleil couchant dans l’axe de la route donne à l’instant une dimension mélancolique. Après cette longue et agréable promenade, nous voici de retour à Centro Habana. L’atmosphère y est encore plus tumultueuse que le matin. Au joyeux bazar anarchique s’ajoutent les enfants en uniforme qui sortent de l’école, les adolescents qui jouent au ballon dans la rue, et bien sûr, la musique partout.

Après une journée éreintante et la fatigue accumulée, notre soirée se résume au repas et à la discussion avec Maïté. Elle nous explique l’arnaque habituelle des cigares, et nous confirme que nos cigares sont probablement des invendus reconstitués et volés dans une fabrique. Ce serait alors des « vrais faux cigares », donc ni des cigares officiels, ni des barreaux de chaise en feuilles de banane vendus à la sauvette. C’est déjà ça. Elle nous raconte d’autres types d’arnaques, celle à la brique de lait par exemple. Il n’est pas rare de se faire accoster par une femme qui demande au touriste candide de lui payer une brique de lait dans le magasin du coin. De mèche avec le personnel, la mendiante ramène par la suite la brique et partage son prix avec la caissière. Pour faire plus vrai, certaines n’hésitent pas à débourser 10 CUC pour louer un bébé à la journée. Maïté nous narre ensuite son parcours. Cubaine de naissance, elle n’a jamais quitté l’île, comme la plupart de ses compatriotes. Il est nécessaire d’avoir une énorme somme d’argent à la banque et de montrer patte blanche aux autorités pour sortir du pays. Alors notre hôte a longtemps assouvi sa soif de voyage en parcourant Cuba de long en large et en exerçant le métier de guide. Un jour, son mari achète un logement spacieux mais miteux dans Centro Habana. Après de long travaux, cette jolie demeure devient une Casa Particular. Maïté est d’une générosité et d’une gentillesse extraordinaire. En ayant partagé de brefs moments avec elle, on sait déjà qu’elle nous manquera.

Le Musée de la Révolution

Qui dit Cuba dit histoire révolutionnaire. Nous consacrons donc la journée du lendemain au Musée de la Révolution. La visite est finalement assez rapide. Elle est composée de panneaux retraçant d’abord la guérilla des rebelles du Mouvement du 26 juillet, puis l’instauration du Socialisme sur l’île. Bien sûr, une large part du musée est vouée au culte des trois grandes figures de la Révolution : Fidel Castro, Che Guevara et Camilo Cienfuegos. Le tout est agrémenté d’objets ayant appartenu aux guérilleros, de quelques cartes explicatives, de photos et de textes d’archives. Connaissant la Révolution cubaine, je m’attendais à un grand moment de propagande. Finalement, l’histoire est certes édulcorée et romancée, mais pas beaucoup plus que n’importe quel pays qui entreprend l’écriture de son récit national. La suite de la journée est une nouvelle occasion de se perdre inlassablement dans les rues de La Havane et de profiter de cette atmosphère d’un autre temps. Cette fois, nous décidons de découvrir sa vie nocturne, mais le projet est assez vite avorté par une averse surprise. Nous aurons eu toutefois le plaisir de déguster une délicieuse langouste dans un petit bar animé par l’un des innombrables orchestres cubains.

Le lendemain, c’est jour de départ pour Viñales. Nos aventures havanaises ne sont pas tout à fait terminées, puisque le quartier subit une panne d’eau générale. La voisine nous prévient que la panne doit durer toute la journée et nous donne une grosse bonbonne pour prendre une douche. L’heure du départ approche, et nous profitons de nos derniers instants pour nous installer sur le balcon de Maïté et regarder vivre une dernière fois le bouillonnement de Centro Habana.

à suivre…