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Cuba, récit de voyage | Viñales ( Partie 2)

par | Fév 7, 2020

Après des premiers jours enchanteurs à La Havane, les petits choses poursuivent leur périple vers l’Ouest de Cuba. Deuxième étape : la Vallée de Viñales.

Lire la Partie 1 à La Havane.

Après des adieux poignants avec Maïté, nous sautons dans notre taxi collectif en direction de l’Ouest de l’île. A Cuba, il est possible de partager le taxi avec d’autres personnes, et donc de diviser le prix de la course. Avant le départ, nous avions décidé de faire l’économie d’une voiture de location et de privilégier les transports en commun. Choix qui s’avère finalement payant, nous n’avons rencontré aucun problème lors du séjour.

A peine sortis de La Havane, la civilisation disparaît. Seule cette grande route qui relie la capitale à la région de Pinar del Río fend la végétation verdoyante qui s’étale à perte de vue. De quoi fatiguer le chauffeur qui se permet d’inquiétantes micro-siestes au volant. Il faut pourtant être vigilant sur les routes cubaines, et éviter soigneusement les crevasses, les auto-stoppeurs, et les vautours qui dégustent des charognes sur la chaussée. Le taxi sort de l’autopista pour parcourir les vingt derniers kilomètres sur une petite route. Ils sont interminables. La chaussée est étroite, sinueuse et cabossée. Sur le chemin, nous traversons quelques petits villages, les premiers signes de civilisation depuis La Havane. Ici, la vie semble s’être arrêtée depuis des siècles. Les innombrables câbles électriques sont les seuls témoins de l’époque moderne. Les habitations en bord de route sont minuscules et délabrées, les gens se déplacent en charrette et les enfants en haillons regardent passer incrédules notre taxi telle la DeLorean de Retour vers le Futur. Ça y est, nous voici dans les profondeurs de l’île.

Nous atteignons Viñales après deux heures de route. un village bien plus coquet que les bourgs voisins et bien plus apaisé que La Havane. La commune rappelle la configuration d’un immense camping : elle est composée d’une rue principale où se trouvent les commerces, de la petite place José Martí (encore lui) qui est le centre névralgique du village, et des rues adjacentes en quadrillage bordées par des petites maisons colorées de plain-pied, des Casa Particulares pour la plupart. L’une d’entre elles, la Casa Floyd, est le deuxième pied-à-terre de notre séjour. Nous rencontrons nos hôtes, Floyd et sa femme Yari. Floyd, guide dans la vallée de Viñales, avoue d’emblée son goût pour l’apéritif et la Crystal, la bière nationale. L’occasion de faire connaissance autour d’un verre. Très vite, il nous parle de la vie à Cuba, des avantages et des inconvénients du Socialisme, de l’école et de la santé gratuite et, avec les yeux humides, de son fils qui fait actuellement son service militaire à Pinar del Río. Malgré son pendentif du Che autour du cou, il nous avoue son amour immodéré pour José Martí.

Mais qui peut bien être ce fameux José Martí, qui possède des places à son nom et des statues dans toutes les villes de Cuba ? D’après Floyd, c’est le héros de tous les Cubains. Il se fait connaître dans la seconde partie du XIXème siècle comme étant à la fois poète, journaliste, penseur, orateur et révolutionnaire. Après des années d’exil en Espagne, à New-York et en France où il rencontre Victor Hugo, il fonde le Parti Révolutionnaire Cubain en 1892 et tombe au combat en 1895 lors de la deuxième guerre d’indépendance. Son héritage inspire les Cubains et présage les combats du XXème siècle qui mèneront à la Révolution de 1959. Sa phrase « il n’y a qu’un moyen de survivre après la mort : avoir été un homme de tous les temps ou un homme de son temps » est visible partout. L’admiration se lit dans les yeux de Floyd.

En fin de journée, nous participons au rituel de notre hôte : chaque soir, à la nuit tombée, quelques voisins se rejoignent à l’arrière de sa maison pour refaire le monde en dégustant du rhum et en mangeant de la couenne de porc cuite au feu de bois. « Tout est bon dans le cochon » nous martèle Floyd dans un Français tout à fait correct. Nous rencontrons El Patron, un grand gaillard à la peau ébène, buveur de rhum devant l’éternel et pilier du quartier. Pendant ce temps, Yari nous prépare une succulente langouste en sauce pour le repas. Après manger, il est temps d’aller boire quelques mojitos dans le centre et d’écouter de la musique. Force est de constater que la petite bourgade vit du tourisme, peu de Cubains se rendent dans le centre le soir. En revanche, les chiens errants sont omniprésents sur la place, et quémandent une caresse ou quelque chose à grignoter à tous les passants.

Cayo Jutías, un coin de paradis

Le cinquième jour, c’est farniente. Yari nous a réservé une excursion à Cayo Jutías, une presqu’île aux plages paradisiaques qui s’avance dans l’océan. Les deux heures de trajet dans un bus d’un autre âge sont chaotiques. Virée obligée pour les voyageurs de passage à Viñales, nous nous retrouvons en compagnie de touristes dont nous nous éloignons dès notre arrivée à destination. Nous nous dégotons une petite baie déserte cerclée de mangroves, avec l’immense étendue d’eau turquoise pour seul horizon. La journée est ponctuée de baignades, de balades photographiques dans les mangroves, et d’une dégustation de langoustes cuites par un local à même le sable et d’eau de noix de coco pour seulement 10 CUC.

Le temps passe, quand un homme solitaire s’assoie à quelques mètres de nous pour contempler religieusement le large. Nous faisons ainsi la connaissance d’Osmani, avec qui nous discutons jusqu’à la fin de l’excursion. Cet homme d’une quarantaine d’années, vêtu de guenilles rongées par les mites, transpire la bienveillance. Il nous désosse les noix de coco pour que nous puissions les manger et nous raconte sa vie : il est pêcheur, mais il pêche uniquement la nuit pour ne pas se faire confisquer son poisson par l’Etat. Il le destine en effet à sa famille et à ses amis. Il nous conduit dans les broussailles où il cache un radeau de fortune constitué de palettes et de polystyrène. Au loin, nous apercevons un énorme bateau. Osmani nous explique qu’il s’agit d’un navire mexicain qui vient récupérer des Cubains souhaitant s’exiler clandestinement, moyennant la somme de 8000$. Si des membres de sa famille ont fait le choix de partir, lui préfère rester sur son île de cœur avec sa mère et sa fille. Sa petite voix aiguë et son accent à couper au couteau ne nous permettent pas de tout comprendre, et il est probable qu’il n’ait pas non plus saisi tout ce qu’on lui racontait avec notre Espagnol approximatif, mais la discussion est chaleureuse et le moment hors du temps. Osmani me propose de fumer le cigare de l’amitié, j’accepte avec joie. Alors qu’il est temps de regagner le bus, notre ami nous offre une pièce de trois pesos cubains à l’effigie du Che. Touché par son geste et pour le remercier de nous avoir coupé les noix de coco, nous lui donnons 3 CUC, une misère pour nous mais une fortune pour lui, le salaire mensuel cubain s’élevant en moyenne à 30 CUC. En échange, il insiste pour nous donner un morceau de pain qu’il avait lui-même mitonné pour sa nuit de pêche. La générosité cubaine n’est pas un mythe…

Dans le bus du retour, nous retrouvons nos touristes ivres. Ils ont passé la journée à tomber des bouteilles de Havana. Nous, nous pensons à Osmani. En rentrant à Viñales, nous choisissons de passer la soirée au centre du village entre petits choses pour évoquer nos nouvelles expériences. L’alcool des mojitos faisant leur effet, la discussion bifurque sur la politique, puis sur des vieux souvenirs. Sans crier gare, nous venons de prendre une jolie petite cuite en amoureux. Mais malgré tout, nous pensons à Osmani.

Viñales et ses mogotes

Le jour suivant est consacré à la visite à pied de la Vallée de Viñales avec Michel, notre guide. Par chance, il parle un très bon français et nous sommes seuls avec lui. Nous sortons assez rapidement du village et nous nous retrouvons en pleine nature. Nous prenons la direction d’un mogote, montagne calcaire en forme de pain de sucre qui se hérisse inexplicablement au milieu de la plaine agricole. Ces mogotes font la particularité et la curiosité de Viñales, ils sont les premiers bouts de terre cubaine à sortir de terre il y a 120 millions d’années. En témoignent les nombreux fossiles qui les recouvrent et les espèces endémiques qui les habitent : faucons, boas, escargots, baobab, palmiers… Michel nous vante les trésors de sa vallée qu’il chérit et qu’il parcourt tous les jours pour les touristes. Il connaît chaque fleur, chaque insecte, chaque oiseau, et se fait le narrateur de leur histoire.

Nous atteignons une plantation de tabac. Nous sommes en effet dans la région où pousse le meilleur tabac de Cuba, et donc du monde. Michel nous explique son fonctionnement : il se passe deux ans entre le moment où on plante le tabac et celui où on le fume. Quand les feuilles sont ramassées et séchées, l’Etat passe par là et s’accapare 90% de la production. Le reste est laissé à l’exploitant pour la consommation personnelle et la revente aux touristes. Les fermes de la Vallée de Viñales sont autosuffisantes : elles s’accompagnent de potagers, de systèmes de filtrage de l’eau artisanaux, de caféiers, de bananiers, de poules et de toute autre denrée nécessaire à la survie. Autres points remarquables, les paysans délaissent la machine au profit des bœufs, et il leur est interdit de recourir aux produits chimiques. La sensibilisation précoce à l’écologie est l’un des bienfaits de la Révolution Castriste. Après avoir fait le tour du propriétaire, nous pénétrons dans la petite bicoque attenante à la ferme, et sommes accueillis par une mama centenaire en train de faire la vaisselle avec un énorme cigare au bec. Gerardo, le fermier, nous propose une démonstration de roulage de cigare et une dégustation. Nous ressortons avec un stock de puros dans notre besace. La marche se poursuit sous une chaleur accablante au pied des mogotes, avec pour seule ombre les vautours qui tournoient inlassablement dans le ciel de la vallée.

L’après-midi est dédiée au repos après cette matinée éprouvante. Nous partons en quête d’une connexion internet dans l’espoir de suivre le match entre le Nîmes Olympique et le FC Nantes, qui se déroule à 14h heure locale. Se connecter à Internet à Cuba relève du parcours du combattant. Dans un premier temps, il faut se rendre dans une boutique ETECSA, le fournisseur national de services de télécommunication, faire la queue, et acheter une carte qui donne accès à 1h d’internet pour 1 CUC. Ensuite, il faut trouver l’un des rares lieux qui disposent du WiFi public, le plus souvent les places principales. Par miracle, nous trouvons un streaming non-censuré pour regarder le match sur le téléphone … et assister à une énième défaite du NO. Tout ça pour ça.

Saturday Night Fever in Cuba

Mais nous allons très vite oublier la contre-performance de notre club. Ce soir, le dernier à Viñales, c’est samedi soir ! Traditionnellement, la circulation est coupée sur la rue principale, des vendeurs de rhums ambulants s’y installent et de la musique est jouée sur la place. Du côté de chez Floyd, c’est également la fiesta. Le petit apéro entre voisins de la semaine se transforme en fête de quartier le samedi. Nous nous mêlons aux festivités et nous fondons parmi les Cubains. Mais Floyd n’est pas là. Il n’arrive pas à décoller du bar de la place du village, où il se rend chaque samedi pour fêter la fin de la semaine avec les autres guides. Sa femme me le passe au téléphone, je lui somme de venir faire l’apéro avec nous, il répond qu’il arrive dans « cinq minutes cubaines ». Il arrive donc une demi-heure plus tard. En l’attendant, ça discute football européen, puis les échanges virent sur la politique, sur la comparaison des modes de vie à Cuba et en France. Ils avouent tous que le quotidien est difficile en raison de la pauvreté et des travers du Castrisme, mais comme ils le répètent telle une véritable devise nationale : « c’est la vie ». Pendant ce temps, les grillades crépitent sur le feu. Celui qui semble être le doyen du quartier découpe un cochon entier. Pendant que ma petite chose prend un cours de salsa avec El Patron, je me contente de siroter du Havana, de fumer un cigare, de déguster de la couenne du porc dont la tête trône sur le plan de travail, et de discuter avec Floyd qui vient de débarquer. Les Cubains ont l’air d’apprécier notre présence. L’un d’eux nous offre un gigantesque cigare en nous disant « un regalo de Viñales, pour que vous n’oubliez jamais notre compagnie et votre séjour ici ». Alors que la soirée suit son cours, Yari nous convoque pour déguster son poulet grillé. Après le repas, nous quittons le brouhaha de la Casa Floyd pour nous rendre au village. C’est également l’effervescence. La musique est aussi forte que les mojitos servis par les vendeurs ambulants. Mais assez vite, la fatigue accumulée se fait sentir et nous regagnons la casa redevenue calme. Nous souhaitons une bonne nuit à Floyd qui roupille dans le canapé, et allons nous coucher pour notre dernière nuit à Viñales.

Le lendemain, le taxi collectif arrive à 8h devant la casa. Les adieux sont encore une fois émouvants, les yeux embués en plus. « Portez-vous bien dans la vie et faites beaucoup d’enfants » sont les derniers mots de Floyd, avant que notre taxi ne s’élance en direction du centre de Cuba pour de nouvelles aventures.