Après trois jours d’immersion dans le cœur de l’île, notre voyage à Cuba touche à sa fin. Avant de partir, il nous reste à découvrir Cienfuegos et Varadero, mais surtout à faire de nouvelles et fabuleuses rencontres.
Lire la Partie 1 à La Havane.
Lire la Partie 2 à Viñales.
Lire la Partie 3 à Trinidad.
Il nous reste encore trois jours à Cuba, mais sans trop le savoir en quittant Trinidad, notre voyage est déjà quasiment terminé. Avec le peu d’intérêt des deux dernières villes couplé à la météo désastreuse, notre périple s’achève en eau de boudin. La ville suivante, Cienfuegos, sera malgré tout le théâtre de jolies rencontres.
Halte à Cienfuegos
Nous débarquons dans cette cité portuaire en milieu de matinée pour une nuit. Après un rapide détour par notre logement, l’Hostal Girassol, nous entamons notre exploration de cette nouvelle cité sous les nuages. Le contraste avec Trinidad, à seulement 60 km de distance, est saisissant. Cienfuegos est moderne, en bon état, les routes sont droites et goudronnées, les places bordées de bâtiments coloniaux et les habitants habillés à l’européenne. Il y a même une rue marchande. Mais par conséquent, la ville est un peu dénuée de charme. Seuls points remarquables, le Parque José Martí et le Paseo El Prado, le Malecón local qui longe la Baie de Cienfuegos.
Nous arpentons cette artère en direction de la pointe sud de la ville quand un vélo-taxi nous aborde avec le fameux « De que país ? ». Jordan, jeune homme à l’allure sportive, est content de parler avec des Français. Il explique d’emblée que la ville a été fondée au XIXème siècle par un certain Luis de Clouet, un colon venu de Bordeaux. Mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est le football. On va bien s’entendre. Il propose de nous offrir la course jusqu’à notre destination. Nous acceptons, gênés. Tout en pédalant, il commence à raconter sa vie. Jordan est l’attaquant de l’équipe de Cienfuegos, qui évolue en première division cubaine. Il a même été sélectionné en équipe nationale et a joué contre Haïti à Port-au-Prince, la seule fois de sa vie où il est sorti de l’île. Mais voilà, à Cuba le football ne paye pas. Il est donc obligé de trimbaler les touristes en vélo-taxi toute la journée pour nourrir sa petite fille d’un an. « Ça me fait travailler les jambes pour le foot » dit-il avec la traditionnelle autodérision cubaine.
On arrive dans petit parc arboré tout au bout de la langue de terre qui s’avance dans la baie de Cienfuegos : la Punta Gorda. On insiste pour offrir un mojito à Jordan, il accepte, gêné à son tour. La discussion tourne autour du football. Un peu comme le Poète de la brouette pour la géographie, Jordan connaît tout du foot européen. Les résultats, les équipes, les transferts, les noms des stades. Nous lui montrons quelques photos sur nos téléphones de nos récentes virées au Parc des Princes et au Camp Nou, il est abasourdi d’apprendre que nous sommes allés dans des lieux qui ne sont pour lui que des mondes imaginaires aperçus à la télé. Comme beaucoup de domaines, les Cubains vivent le football par procuration, dans une réalité abstraite et lointaine. Nous mesurons la chance de pouvoir se rendre dans des grands stades pour voir évoluer des grands joueurs qui font rêver la planète entière. La discussion bifurque sur la politique. Jordan est beaucoup moins tendre avec le régime que nos précédents interlocuteurs. Nous nous rappelons des propos de Lazare, dans l’Escambray, sur les désirs nouveaux de la jeunesse. Notre ami est conscient de ce qui se passe ailleurs, des libertés accrues, du confort matériel. Il a entendu parler du mouvement des Gilets Jaunes, nous lui montrons de nouveau des photos et des vidéos. Il trouve que nous avons raison de défendre nos libertés, parce-qu’à Cuba, participer à de telles manifestations mène tout droit en prison. Mais il se résigne. Il sait que sa vie est ici, au côté des siens. Il l’accepte car il aime son pays, il a la santé et l’amour de sa famille. Il conclut avec le traditionnel « C’est la vie ».
Nous acceptons de rentrer vers le centre-ville en vélo-taxi à condition que je conduise. Me voilà en train d’arpenter le Malecón sous les regards interloqués des passants, et les rires de Jordan et de ma Petite Chose. Je mesure pour ma part la difficulté de conduire ce véhicule. L’engin est lourd et le pédalier raide. Arrivés au Parque José Martí, nous insistons pour payer une partie de la course. Nous donnons 5 CUC, visiblement c’est beaucoup trop, Jordan est ému. Les adieux sont poignants alors que nous ne nous connaissions pas deux heures auparavant. C’est le charme merveilleux des rencontres à Cuba.
Après un autre mojito sur une terrasse bordant la place, nous rentrons à la casa. Nous avions prévu de ressortir pour nous balader dans la soirée, mais les nuages menaçants et le sentiment d’avoir fait le tour de la ville nous poussent à rester à la casa. Après la dégustation d’une nouvelle langouste, nous faisons la connaissance d’Adrián, notre hôte que nous n’avions pas vu le matin. Il nous propose de bavarder, en français, autour d’un mojito maison sur sa terrasse. Il rentre tout juste de sa garde, il est étudiant en gynécologie. Il entame une discussion centrée sur la santé avec ma Petite Chose infirmière, je me contente d’écouter.
Adrián explique que le système de santé est bon, que Cuba forme d’excellents médecins, mais que l’île est trop pauvre pour soigner convenablement la population. Entre l’embargo américain et les prix élevés à l’importation, il y a très peu de médicaments à Cuba. C’est ce que nous avions constaté dans la pharmacie de Trinidad. Ils ont un peu de Paracétamol et de morphine, et pas d’intermédiaire entre les deux. Et ils n’ont que trois antibiotiques en circulation. Ma Petite Chose sent que c’est le moment de faire un joli cadeau. Pendant qu’Adrián prépare un autre mojito, elle se dirige vers la chambre, et revient avec la trousse de secours. Nous sommes à 48h de notre vol retour, on peut bien se séparer de quelques médicaments si communs chez nous, mais introuvables ici. Notre hôte reçoit des antibiotiques, du Spasfon, de l’Imodium. Il connaît tous ces remèdes mais n’en avait jamais eus en main. Pire, nous lui donnons nos pansements, il en ignorait l’existence. Il a les yeux qui brillent, et ne sait comment nous remercier. Les mojitos suffiront. Adrián avoue son rêve de venir en France, de pratiquer la gynécologie avec des moyens adaptés, mais il sait que ses chances sont minces. Comme tous les Cubains que nous avons rencontré durant notre séjour, il conclut avec le sempiternel « c’est la vie ». C’était décidément une journée riche en rencontre et en émotion. Et en mojitos.
Échec cuisant à Varadero
Le lendemain matin, le réveil sonne à 7h. Une fois n’est pas coutume, nous avions opté pour un trajet en bus qui nous mènerait jusqu’à Varadero pour notre dernière nuit avant le vol retour. Pour cela, il faut se rendre au siège de la gare routière juste à côté de la casa, se perdre dans le dédale de couloirs pour trouver le guichet, et réserver sa place. C’est une galère, mais le trajet ne coûte que 20 Cuc par personne. Seulement voilà, ce matin le guichet est fermé. Seule solution, prendre une autre ligne qui rallie notre destination en 6h au lieu des 2h habituelles. La galère. Je sors de la gare routière et me fait accoster par un rabatteur qui propose de nous conduire à Varadero pour 50 Cuc. Je lui dis que nous préférons le bus pour son prix plus attractif. Il baisse le prix petit à petit, pour finalement accepter de nous embarquer au tarif du bus. Il est loin, le temps où on se faisait arnaquer par les faux vendeurs de cigares. Deux semaines à Cuba, ça permet de développer des talents de négociateur.
Ainsi, nous décollons de Cienfuegos une heure plus tard en direction de la presqu’île de Varadero, au nord de l’île. Avant le refroidissement des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba, cette station balnéaire situé à 300 km des côtes de Floride était le lieu de villégiature des Américains en vacances. C’est également la destination rêvée des touristes du monde entier débarquant sur l’île pour mettre leurs pieds en éventail sur du sable blanc. Si Cuba n’est pas la destination privilégiée pour le farniente, Varadero compte parmi les plus belles plages du monde. De notre côté, nous avions choisi d’y passer notre ultime nuit, sans trop de convictions, pour se rapprocher de La Havane et de se détendre une dernière fois. Nous n’aurons pas ce loisir.
Sur la route, d’énormes nuages noirs apparaissent devant nous. A quelques kilomètres de notre destination, une pluie torrentielle s’abat sur nous jusqu’à l’arrivée à notre ultime casa. Nous prenons possession de notre petite chambre et regardons par la fenêtre en attendant que la pluie cesse. Dans l’après-midi, nous profitons d’une éclaircie pour nous aventurer dehors. On découvre une petite ville quadrillée, parsemée de coquets pavillons et de palmiers. Les quelques personnes que nous croisons sont essentiellement des touristes. On aperçoit des voitures modernes et même des panneaux publicitaires. Varadero est une enclave. Nous avons une pensée pour ceux qui disent avoir voyagé à Cuba alors qu’ils n’ont vu qu’une annexe de Miami sans aucun rapport avec le reste de l’île. Nous nous avançons jusqu’à la plage. Le sable est blanc et l’eau turquoise mais déchaînée. Il est facile de s’imaginer un petit paradis quand la météo est de la partie, mais là c’est un véritable enfer. D’autant plus que la pluie recommence à tomber. On parviendra à ressortir en début de soirée pour s’attabler dans un restaurant.
Le lendemain, après un copieux petit-déjeuner comme les hôtes savent si bien les faire dans les casas, nous grimpons dans le taxi pour rejoindre l’aéroport de La Havane. La route longe tour à tour le bord de mer, traverse des petits villages et s’enfonce dans la nature profonde. Nous en profitons pour faire le plein d’images. C’est avec un pincement au cœur que nous pénétrons dans le terminal. A peine le temps de passer les contrôles de sécurité, d’acheter quelques bouteilles de rhum supplémentaires et de grignoter un bout qu’il est l’heure d’embarquer. Notre voyage est terminé.
L’heure du bilan
Dans l’avion, nous profitons des 9h de vol pour faire le tri dans nos nombreux souvenirs, pour ancrer définitivement ces moments dans nos esprits, comme j’ai essayé de le faire modestement dans ce récit. Cuba mérite qu’on s’y rende, mais surtout qu’on s’en souvienne, que la médite, qu’on la passe au tamis de notre culture, de nos certitudes et de notre identité profonde. Dans ce pays, chaque instant, chaque odeur, chaque bruit est différent de ce que l’on connaît dans notre monde occidental. L’île est envoûtante, son peuple bouleversant. Chaque recoin est un trésor, chaque rencontre est un enrichissement. Les lieux sont à la fois éblouissants et mystérieux, emprunt d’une âme que l’on parvient à effleurer si l’on se donne la peine de prendre son temps. Les gens sont vrais, authentiques, emplis à la fois de simplicité et de spiritualité, concentrés sur l’essentiel et conscients de la joie d’être vivant. En descendant de l’avion, nous nous faisons la promesse qu’à chaque moment difficile, à chaque caprice, à chaque fois qu’on se plaindra de nos vies, nous penserons à Cuba. Nous penserons à Maïté et à Floyd. A Osmani et au Poète de la brouette. A Lazare, Jordan et Adrián.
Nous retrouvons notre belle France, prêts à reprendre le cours de nos existences à jamais enrichies par cette expérience hors du commun. On a l’impression d’être partis des mois, mais rien ne semble avoir bougé ici durant ces quinze jours. L’hiver est là, Noël approche, et le pays est toujours en proie aux grèves. D’ailleurs, il va falloir trouver un train pour rentrer à Nîmes, le nôtre a été supprimé. La SNCF en trouve un à destination d’Avignon. C’est un peu la galère, il faudra venir nous chercher, et ma Petite Chose qui prend son service dès le lendemain à 6h va se coucher tard. Mais comme on dit à Cuba, « c’est la vie ».