Faute de pouvoir bringuer à la Feria de Pentecôte à cause du Coronavirus, Le Petit Chose te retrace l’histoire de la tauromachie à Nîmes.
La Feria de Nîmes, avant d’être une immense fête populaire, met en avant le culte du toro. Cet événement majeur, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est né en 1952 à la suite d’une longue infusion de la tauromachie au cœur et aux abords des Arènes de Nîmes.
Des origines antiques
La présence du taureau dans la ville est une affaire millénaire. En observant l’entrée principale de l’amphithéâtre antique, on aperçoit deux têtes de bovidés sous le fronton triangulaire. L’animal est l’un des symboles d’Auguste, empereur romain qui a donné à la cité son statut de colonie en 27 av. J.C. et à qui l’on doit la construction des Arènes. Même si ce n’est qu’une jolie coïncidence, Nîmes était prédestinée à devenir un grand bastion de la tauromachie.
A cette époque, Nîmes – ou plûtot Nemausus – accueille des combats de gladiateurs, mais également des Venationes, des scènes de chasses opposant des hommes à des animaux sauvages. Faute de félins dans la région et d’infrastructures adaptées, on opte pour le taureau camarguais. Ces premiers jeux taurins connus consistent à exciter le bovin, faire quelques acrobaties et l’abattre en piste. On est encore très loin des canons de la corrida actuelle, mais on perçoit la filiation. Au Vème siècle, la chute de l’Empire romain entraîne leur disparition. L’amphithéâtre devient tour à tour une citadelle fortifiée avec les wisigoths, puis un quartier de la ville à l’époque féodale avec des habitations bâties sous les arches, sur les gradins et même sur la piste.
La renaissance des jeux taurins
Il faut faire un grand saut dans le temps et attendre le XVIIème siècle pour retrouver des traces de courses de taureaux dans la région. Jusqu’au début de la Révolution Française, les Nîmois pratiquent la « course à la corde », ou la « course à la bourgine ». Pour cela, on pille des taureaux et des bœufs à l’abattoir, on les lâche dans la rue, et on s’amuse avec. Ils sont attachés à une corde pour prévenir le danger, mais ça ne les empêche pas de causer des dégâts humains et matériels considérables. Ainsi naissent les premiers débats houleux entre partisans et détracteurs de la tauromachie, auxquels se mêlent le conseil de ville et le Journal de Nîmes. Déjà à l’époque, on oppose la « barbarie » à la « société civilisée ». Durant la période révolutionnaire, l’Assemblée nationale se prononce contre les jeux taurins. En 1796, alors que le matador sévillan « Pepe Hillo » publie le premier traité de tauromachie de l’histoire, l’Administration Centrale du Gard proscrit toutes les festivités locales, et donc les courses de taureaux, sur l’ensemble du département.
Mais le nîmois est têtu. La ville, rebelle et opiniâtre, ne compte pas se laisser marcher sur les cornes. Le 8 juillet 1804, les passionnés de courses décident d’outrepasser les interdictions. Ils s’attroupent devant l’abattoir, tiennent têtes aux forces de l’ordre protégeant l’établissement, et s’emparent des bovins qui allaient subir l’estocade d’un instant à l’autre. Une immense course contestataire est ainsi organisée dans les rues de Nîmes. Il y aura une nouvelle tentative cinq jours plus tard, mais elle sera vite avortée et entraînera deux arrêtés interdisant les divertissements.
De nouvelles décisions vont cette fois-ci jouer en faveur des Nîmois. En 1811, le ministre de l’Intérieur demande à ce que l’on célèbre partout la naissance du « Roi de Rome », Napoléon II. C’est le grand retour des courses dans la capitale des Volques. Les 9 et 10 juin sont affectés à la fête. C’est un énorme succès puisque l’on estime entre 12000 et 15000 spectateurs sur la place des Arènes.
L’amphithéâtre redevint arène
François Branchu, directeur du théâtre et des spectacles de la ville, souhaite organiser ce genre de manifestations plus souvent. Mais en raison de l’absence d’un endroit approprié et d’installations décentes, le Préfet refuse. On pense alors au vieil amphithéâtre antique mais son utilisation est impossible : son état de délabrement est avancé et des Nîmois y vivent toujours. Après plusieurs demandes de dégagement et de restauration de l’édifice, les premières datant de l’avant-Révolution, le projet est mis à exécution au printemps de 1809, et achevé début 1813.
Ce premier travail de rénovation terminé, le Préfet Rolland estime que « le goût qu’a le public pour la course de taureaux est porté jusqu’à la fureur dans ce pays et, nulle part il n’existe aucun emplacement aussi magnifique que celui des Arènes ». Il présente le projet de Branchu au ministre de l’intérieur, en certifiant qu’il « procurera aux habitants de la ville de Nîmes, ainsi qu’à ceux des communes circonvoisines, un amusement pour lequel ils ont eu dans tous les temps le goût le plus décidé, et qu’en lui permettant aux conditions ci-après énoncées d’établir des courses de taureaux et autres spectacles publics dans les Arènes, cette mesure sera à la fois utile à la restauration du monument et à l’intérêt des pauvres ». Il obtient gain de cause et donne l’autorisation à Branchu d’organiser des courses de taureaux dans les Arènes du 1er mai au 30 septembre 1813. En contrepartie, le directeur des spectacles doit assurer les rénovations et l’entretien, ainsi que la pose de 18 grilles sur les arches extérieures. Il est également tenu de payer le droit des pauvres. La première spectacle de l’ère moderne a lieu le 23 mai. Grâce à une grosse campagne de publicité, soit plus 300 affiches placardées en ville et dans les patelins voisins, elle attire 8000 personnes.
Il faut désormais dénicher des individus capables d’affronter la bête. On se tourne vers les villages au sud de Nîmes, où les habitants sont plus ou moins habitués à manier le taureau camarguais. Grâce aux liens commerciaux que certains Nîmois ont tissé avec la péninsule ibérique, des toreros espagnols commencent à venir pour affronter du bétail camarguais. Au fil des décennies, la course de taureaux va petit à petit évoluer vers la « course à l’espagnole ».
Les débuts nîmois de la corrida
Nîmes ne peut pas se targuer d’être le berceau de la corrida en France. La première mise à mort formelle est effectuée à Bayonne en 1852. A Nîmes, c’est en 1853 que se déroule la première course espagnole. Ce sont les prémices de la corrida telle que nous la connaissons aujourd’hui. Ce 12 juin, jour d’élections municipales, le public vient en masse pour assister au spectacle. Près de 30 000 personnes s’entassent dans l’amphithéâtre. Les Nîmois sont déchaînés après tant d’attente, les étrangers sont quant à eux stimulés par la curiosité et se demandent à quoi peut bien ressembler un tel tableau. En effet, l’annonce de la corrida attire l’attention aux quatre coins de la France. Les organisateurs avaient préalablement décidé d’exclure la mise à mort, mais c’était sans compter les contestations d’un public chauffé à blanc réclamant l’estocade dès le premier taureau combattu par le madrilène « El Sastre ». Les autorités n’ont d’autre choix que de céder aux caprices du peuple. Cependant, le combat avec le second taureau s’apparente plus à une boucherie qu’à un spectacle se voulant empreint de grâce et de majesté. La bête sort amochée mais vivante de l’arène. Après un tel massacre, la corrida est arrêtée. Même si la tradition tauromachique nîmoise démarre mal, les spectacles reprennent en septembre et s’enchaînent pendant dix ans.
En mai 1863, la ville organise un grand « Concours régional agricole » avec, en point d’orgue, deux corridas dans l’amphithéâtre nîmois. Après des mois de préparation, elles sont programmées les 10 et le 14 mai. On annonce des toreros talentueux et on autorise la mise à mort. C’est encore une fois un public cosmopolite qui se balade dans les rues de Nîmes et qui garnit les gradins de l’amphithéâtre. Les deux courses sont de grandes réussites, même si on raconte que le dernier taureau s’est échappé dans la ville après avoir enfoncé la porte du toril. Il aurait erré toute la nuit avant d’être retrouvé dans une vigne de la Route d’Uzès. Après ce véritable succès, les pouvoirs publics autorisent la mise à mort, ne tolérant pas pour autant les blessures et des décès humains, sans quoi les édiles de la ville pourraient reconsidérer leur décision. Tout semble se passer pour le mieux, les corridas et autres jeux taurins sont nombreux et attirent régulièrement entre 10 000 et 16 000 personnes. Cette période dorée correspond au règne de Jules Rostain, directeur des arènes de l’époque, qui diversifie l’offre au point de créer des spectacles saugrenues comme la « vélocipèdotauromachie ».
La corrida, elle, est parfois le théâtre de violences. A l’instar du football aujourd’hui, elle devient très populaire. Toutes les couches de la société se retrouvent dans les Arènes grâce aux prix très accessibles pratiqués par les organisateurs. La bourgeoisie peut assister aux corridas confortablement installée en Premières, les classes moyennes en Secondes ou en Tribunes, tandis que les classes populaires se massent en Amphi, la partie la plus haute du monument. Qui dit inégalités sociales dit conflits. De la confrontation entre riches et pauvres aux clivages politiques, c’est une multitude d’oppositions qui trouvent leur expression dans les travées surchauffées de l’amphithéâtre. Le 30 juin 1878, de violentes bagarres éclatent dans les gradins et se poursuivent dans les rues. Elles opposent les partisans du Préfet républicain aux défenseurs de la monarchie, guidés par le Maire. Les émeutes durent toute la nuit.
Défendre les traditions
A partir de 1886, les rivalités entre autorités et aficionados renaissent de leurs cendres. Influencé par la SPA, le gouvernement est composé essentiellement de nordistes radicalement hostile aux principes de la corrida et des mises à mort. Les pouvoirs publics auront le dernier mot, du moins le croient-ils. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Waldeck-Rousseau, veut appliquer à la corrida la célèbre Loi Grammont, votée en 1850, qui punit les « mauvais traitements envers les animaux domestiques ». Les courses sont essentiellement des simulacres. Sous les revendications du public des arènes et les manifestations dans les rues de la ville, on s’autorise d’abord à tuer des taureaux de temps à autres, puis à organiser à nouveau des corridas formelles, dont certaines d’anthologies dépassant les 50 piques. Agacé de voir son autorité bafouée, Waldeck-Rousseau prend un arrêté interdisant définitivement la mise à mort le 26 septembre 1894. Mais les réboussiers nîmois ont de la ressource. Le mundillo, Frédéric Mistral en tête, organise une grande corrida de contestation. Le 14 octobre 1894, 20 000 spectateurs garnissent l’amphithéâtre pour une gigantesque course présidée par le poète provençal. Les corridas formelles reprennent à nouveau dans la capitale des Volques. La répression des autorités se poursuit, mais rien n’arrête l’afición des Nîmois. Le rythme des représentations est malgré tout revu à la baisse, la fréquence étant désormais de trois corridas par an : une à la pentecôte, une en juillet, et une autre entre la fin septembre et début octobre, à la période des vendanges. A cette époque, on voit également apparaître « corrida populaire » de fin d’année, tradition qui perdurera jusqu’à la fin des années 80, une course bon marché permettant de combattre les taureaux de réserve de la temporada et d’attirer un public modeste aux Arènes. La cadence est respectée jusqu’à l’aube de la Première Guerre Mondiale, durant laquelle aucune course n’a lieu. Nîmes ne connaîtra donc jamais l’âge d’or de la corrida, entre 1914 et 1920, orchestré par les deux illustres matadors qui ont révolutionné le toreo : Belmonte et Joselito.
La première corrida d’après-guerre est organisée le 23 mai 1920 au profit des rescapés de 14-18. On voit alors apparaître le caparaçon, un équipement de protection pour les chevaux des picadors qui se faisaient jusqu’alors régulièrement éventrer en piste. Nîmes résiste à toutes les invectives malgré la baisse de qualité des spectacles et de fréquentation des arènes. Cette résistance, Nîmes la doit en partie au Président de la République de l’époque, Gaston Doumergue, originaire d’Aigues-Vives et très attaché aux traditions de sa région. Le rythme des corridas ralentit en France : on passe de vingt-cinq corridas en 1922 à sept en 1926. La crise économique qui touche l’Europe de plein fouet au début des années 1930 empêche les organisateurs d’inviter des toreros de prestige.Durant la Seconde Guerre Mondiale, on note l’organisation de quelques capeas, mais pas de corrida. Après-guerre, l’Espagne de Franco étant mis au ban de l’Europe, on se tourne vers les toreros et les toros portugais, mexicains, et bien sûr français.
Vers la Feria …
En 1949, alors que la corrida est de plus en plus appréciée, la revue Toros démarre une campagne visant à planifier une grande manifestation taurine dans la ville de Nîmes durant les fêtes de Pentecôte. Cette période coïncide avec l’évolution de la Loi Grammont qui, désormais, « n’est pas applicable aux courses de taureaux lorsqu’une tradition ininterrompue peut être évoqué ». Après deux années de travail intensif, la campagne porte ses fruits. Ferdinand Aymé, célèbre pour son long règne d’empresa, annonce pour la Pentecôte de 1952 une course le samedi, une corrida le dimanche, et une novillada le lundi. C’est ainsi que le vendredi 30 mai 1952, un siècle après la première corrida dans les Arènes, s’ouvre la toute première Feria de Nîmes.
«Toujours fiers et libres ont vécu tes aïeux, Méridional souviens t’en. Remplis tes devoirs, fais valoir tes droits et garde la foi dans tes traditions. Tu dois les transmettre à tes fils, patrimoine sacré de tes aïeux : droits, traditions et liberté ! Protéger la bouvine c’est protéger du même coup les principes des libertés. S’incliner sous l’arbitraire c’est manquer gravement à la dignité humaine. Peuple du Midi reste fier !» Affiche du Comité de Défense des Libertés Méridionales, 1933.