Après deux semaines de confinement, le Petit Chose est bien chaud pour partir en guerre contre le virus. Ou plutôt, une guerre contre LES virus. Qu’ils soient biologiques, politiques, oligarchiques, ou encore individualistes.
« Une bonne guerre ». C’est la rengaine des anciens. De ceux qui se sont battus pour la France. De ceux qui ont connu les grands troubles de l’histoire. De ceux qui disent qu’avant ce n’était pas comme ça, qu’avant c’était dur, qu’aujourd’hui on est une génération de branleurs bonne qu’à picoler, mater des conneries à la télé et consommer son fric gagné sans trop d’efforts et sans trop se soucier du lendemain. Comme le disait le très charismatique Tyler Durden dans Fight Club, « on est les enfants oubliés de l’Histoire mes amis, on n’a pas de but ni de vraie place, on n’a pas de Grande Guerre, pas de Grande Dépression ». Et bien cette guerre, elle a été déclarée le 16 mars par Emmanuel Macron. Contre quel ennemi ? Une pandémie, un virus, un Coronavirus : le Covid-19. L’occasion peut-être de trouver notre vraie place ?
Autres temps, mêmes mœurs
En attendant, notre place est entre les quatre murs de nos logis. Et ce confinement provoque des impressions un peu surréalistes. Il y a des moments où l’on essaie d’égayer ce quotidien étriqué en jonglant avec du PQ, en descendant des bières en visio avec les potes, et en applaudissant le personnel soignant chaque soir à 20h dans la joie et la bonne humeur. Puis on referme la fenêtre, on éteint la caméra du téléphone, et on réalise en jetant un œil sur le paysage désert que des gens meurent par milliers, à quelques kilomètres comme à l’autre bout du monde, et que nous vivons certainement l’un de ces fameux grands troubles de l’histoire.
Comme toujours en période de guerre, ces temps obscurs sont un véritable miroir grossissant. Il exacerbe les failles et les merveilles du monde et des hommes. Il est possible de perdre foi en l’humanité et de retrouver l’espoir quelques minutes plus tard, quand les sursauts de bienveillance succèdent à la connerie humaine. Autrefois, certains faisaient sauter des trains allemands quand d’autres dénonçaient leurs voisins juifs. Aujourd’hui, certains se sacrifient pour faire fonctionner le pays, font les courses de leur grand-mère et de leur voisin, mettent en place des réseaux d’entraide, font des cagnottes et des collectes pour les soignants. Et d’autres, quant à eux, s’affranchissent du confinement, vident les rayons des pâtes et du PQ, achètent des kilos de doliprane et de chloroquine sans raison, se plaignent de la Poste qui ne livre pas leur autocuiseur à temps, et demandent à leur voisine infirmière si ce serait pas une bonne idée qu’elle aille crécher ailleurs. Ne parlons pas des autorités qui, faute de masques FFP2 et de tests Covid-19, dissimulent leur incompétence par la propagande, et activent leurs vieux réflexes libéraux en allégeant le code du travail pour nous faire bosser 60h par semaine même le dimanche. Les circonstances changent mais les schémas restent. Autres temps, mêmes mœurs.
Heureusement, les périodes troubles laissent souvent la place à des périodes d’embellie. D’où la « bonne guerre » souhaitée par papy mamie ?
La bourse ou la vie
Embellir notre avenir, c’est d’abord détruire ce qui encombre notre passé et assombrit notre présent. A commencer par le pouvoir en place. Les professionnels de santé se succèdent sur les plateaux télé pour réclamer des comptes quand tout sera fini. Pour savoir comment on en est arrivé là, pourquoi on a rien fait alors qu’on savait, comment faire pour ne pas que ça recommence… Oui, il faudra en parler car il ne suffira pas de dégager les « connards qui nous gouvernent » actuellement. Il faudra tout changer. Emmanuel Macron et son armée de clones ne sont que les avatars d’un monde devenu fou. Le boss de fin du capitalisme acharné qui n’a peur de rien, même pas de la mort. Il n’y a qu’à voir les exhortations schizophréniques de la secte gouvernementale qui nous ordonne de rester chez nous, mais d’aller quand même bosser coût que coût parce-que bon, on s’inquiète pour vos vies mais il ne faudrait pas que ça enraye la machine à cash. La populace n’est pour cette élite cupide qu’une pièce dans l’engrenage du profit. Le bonheur, la planète, la vie, la mort, l’humain, tous ces concepts sont sympathiques tant qu’ils ne freinent pas la croissance.
La bourse ou la vie ? Nos gouvernants ont fait leur choix depuis quarante ans. A commencer par la destruction des services publics, qui nous pète à la figure aujourd’hui avec l’agonie des établissements de santé. Depuis des années, le pouvoir libéral n’a de cesse de détruire l’hôpital public, de réduire le personnel comme peau de chagrin, de « fermer des lits », de baisser les subventions. Les infirmières manquent autant de matériel dans leur service que d’euros sur leur fiche de paie. Ces derniers mois, les soignants étaient dans la rue pour exiger des moyens afin d’exercer leur métier correctement. Comme ce jour de décembre dernier où une banderole prémonitoire a été déployée à Paris : « l’état compte les sous, on va compter les morts ». Le Gouvernement a répondu à coups de matraques, de gaz lacrymogènes et de tirs de LBD. Aujourd’hui, comble de la mesquinerie, voilà que la sixième puissance mondiale se retrouve à faire l’aumône auprès de la population, de « ceux qui ne sont rien », pour aider la Santé.
Mais si l’hôpital est actuellement en première ligne, c’est tous les services publics qui sont saignés. On instaure la logique de marché dans des structures qui œuvrent pourtant pour le bien commun : transport, eau, gaz, électricité, télécommunication, services postaux… Tout y passe. On pourrait aussi parler de la désindustrialisation du pays qui nous fait défaut durant cette pandémie. Pas de chance, les usines en mesure de fabriquer des médicaments et des masques ont été délocalisées dans des pays où la main d’oeuvre était moins chère.
Cette stratégie de désintégration de ce qui fait la France depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale s’accompagne d’une casse méthodique des acquis sociaux. Ils sont des grains de sable dans les rouages du capitalisme financier. Bien aidés par l’Union Européenne, nos gouvernants s’emploient à bousiller tout ce pour quoi « nos ancêtres se sont battus », comme ils le disent si bien quand il s’agit d’aller voter pour eux. Le système des retraites vole en éclat, le code du travail est raboté, et viendra bientôt le tour de la Sécurité Sociale. La libre concurrence est devenue la norme, la précarité aussi.
Et tout ça dans quel but ? Satisfaire des intérêts particuliers, ceux des vrais maîtres du monde, ceux qui n’ont « pas de nom, pas de visage, pas de parti, et pourtant qui gouverne », comme l’a dit un futur président socialiste avant de se mettre à genou : les financiers, les patrons de multinationales et de fonds d’investissement, ceux qui possèdent tout et qui sont capables de faire élire n’importe qui grâce aux grands médias qu’ils possèdent également. Tout cela mène à l’appauvrissement progressif des 99% et à l’enrichissement fulgurant des 1%.
Donc qu’on se le dise, ce n’est pas seulement Emmanuel Macron qu’il faut dégager. C’est toute une oligarchie autour de laquelle gravitent politiciens de tout bord, le monde de la finance, les grands capitalistes, et autres bureaucrates européens. Avec le Coronavirus, ce petit monde tremble à l’idée de la crise majeure qui se profile. Une crise aussi bien financière que sociale ou écologique : un Coronakrach, pour reprendre Frédéric Lordon. A nous de leur donner le coup de grâce. Ce système qui brûle tout à petit feu depuis des décennies, il va falloir le carboniser.
Le beau dans la noirceur
Après avoir détruit ce système prédateur, il faudra avant tout s’assurer qu’il ne revienne pas. Pour ça, il existe des solutions. On pourrait détruire le concept même d’Etat pour revenir à l’échelle de la commune, comme le préconise l’utopie anarchiste ? Ou alors, plus prosaïquement, le peuple pourrait créer lui-même de nouvelles institutions dans le but de se protéger des abus de pouvoir ? Ce n’est pas sans rappeler les premières revendications des Gilets Jaunes, celles qui trouvaient un écho dans la population au début du mouvement.
Et puis bien sûr, il faudra réinventer un monde. Centré sur l’humain si possible. On pourrait très bien persévérer dans l’individualisme, se baser sur les moments de désespérance actuels, se vautrer dans l’égoïsme et le je-m’en-foutisme qui triomphent sous nos fenêtres. Mais pourquoi ne pas retenir ce qui se passe de beau dans cette noirceur ? Les applaudissements à 20h, c’est beau. Les voisins qui se parlent, c’est beau. Les foyers qui se retrouvent et qui, exemptés de travail, réapprennent à vivre ensemble, à trouver des occupations ensemble, à ne rien faire ensemble, c’est beau. Les élans de générosité, d’entraide, de solidarité, c’est beau. Et tout ça, devinez quoi ? Nos gouvernants n’y sont pour rien ! Au contraire, c’est parce-qu’ils n’y sont pour rien, qu’ils ne comprennent rien, que tout ça se crée.
Partout dans le monde, des peuples et des communautés font émerger des idées à l’échelle locale. Certaines d’entre elles voient le jour, même chez nous. Dans une société mondialisée, les circuits courts, par exemple, étaient une chimère de rêveurs bobos hippies, et pourtant ils se démocratisent à une vitesse folle. Il faut amplifier ces mouvements émancipateurs. Au passage, toutes ces idées feraient aussi respirer la planète. C’est bien beau d’envisager le futur, encore faut-il que l’espèce humaine survive pour en faire partie…
Pour une fois, nous avons le temps de nous arrêter et de réfléchir. Mettons ce « temps de cerveaux disponible » à profit. Nous avions l’impression que nos gouvernants avaient bâti, sans nous en rendre compte, un monde inéluctable où la vie ne serait que survie. Et bien non, alors que la mort frappe aujourd’hui, la vie surgit elle aussi. Une partie de l’humanité va peut-être disparaître à cause d’un malheureux bougre qui a bouffé un pangolin infecté par un machin microscopique au fin fond de la Chine. Mais si cette humanité saisit l’instant, la face du monde pourrait bien changer.